Magistère de l’Église et Peuple de Dieu, d'où vient l'écart?
Monsieur le cardinal Marc Ouellet,
Archevêque de Québec et primat de l’Église au Canada
Monsieur le Cardinal,
Lors de votre récente comparution devant la commission Bouchard-Taylor, vous avez déclaré: « Le renouveau du catholicisme et des valeurs des Québécois, qui ont fait notre identité, serait une grande partie de la solution aux tensions qui existent. Il y a des groupes qui sont plus identifiés que nous au plan religieux et nous nous demandons qui nous sommes » (Cf. Malorie Beauchemin. Le Devoir, 31 octobre 2007).
Permettez-moi de ne pas vous suivre dans votre argumentaire. Le problème le plus grave de l’Église catholique au Québec n’est pas relié aux relations inter-religieuses, il est beaucoup plus grave. Le magistère de l’Église catholique a perdu contact avec ce que nous appelons le Peuple de Dieu. Le Vatican contrôle tout, décide tout. Les évêques ne peuvent plus dire ce qu’ils pensent. Ils ne peuvent même pas réagir ouvertement au «message» très clair, qu’ils ont reçu de la Conférence religieuse du Canada. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème mais je suis étonné que vous ayez profité de cette tribune pour cacher la vraie cause du drame religieux chez les catholiques au Québec. Il s’agit, à mon avis, d’un véritable suicide institutionnel. Et la responsabilité doit être mise sur les épaules… du magistère de l’Église. Ce qui inclut les évêques et le pape. Mais parlons d’abord de vous-même, puisque vous êtes le « primat » de l’Église canadienne.
Vous avez déclaré, dans une entrevue au journal Le Soleil, le 26 janvier 2003: «Les femmes n’ont pas de droit inhérent à devenir prêtre, parce que ce droit n’existe pas plus pour les hommes que pour elles. Je n’ai pas le droit d’être évêque, je suis appelé par Dieu, à travers l’Église».
Beaucoup de femmes, mariées ou non, qui ont consacré leur vie à l’enseignement de la théologie ou au service de l’Église d’une autre façon, seraient satisfaites d’un tel traitement. Beaucoup d’hommes mariés aussi. Qui peut dire ce que Dieu en pense? Il est difficile d’imaginer que l’objection viendrait de Lui. Ceux qui pensent le contraire ont le fardeau de la preuve.
Ne croyez-vous pas qu’il eût été plus approprié de dire que vous avez choisi de servir l’Église catholique et que le Magistère de notre Église vous a appelé à devenir prêtre, puis évêque et …cardinal?
J’ai suivi avec un grand intérêt votre arrivée, très médiatisée, à Québec. Vous avez constaté que de nombreux fidèles s’étaient éloignés de l’Église. Lorsque vous avez entrepris de visiter les paroisses de votre immense diocèse, vous avez certainement entendu souvent l’une des principales raisons de cet éloignement : la discrimination envers les femmes et le refus d’adapter le code moral imposé historiquement par l’Église en matière de sexualité.
Vous trouverez la preuve de cette hypothèse dans les nombreux sondages démontrant que la majorité des Québécois et des Québécoises croient encore en Dieu et au Christ. C’est le discours de l’Église, inadapté à la société moderne, qui les a chassés des églises. Ils y reviendraient si ce discours devenait ce qu’il eût été si le pontificat de Jean XXIII avait duré cinq ans de plus! Deux grands sujets sont en cause : la discrimination envers les femmes, la totalité des femmes, et envers les hommes… mariés.
Il faut d’abord choisir entre deux approches: maintenir la règle imposée à «nos aïeu », qui a multiplié les familles de 10, 12 ou 15 enfants :
«Tout acte matrimonial doit être ouvert à la transmission de la vie. » À laquelle les confesseurs ajoutaient un complément: «La femme qui refuse une relation avec son mari se rend coupable de l’adultère qu’il pourrait commettre! »
Ou recevoir les recommandations des deux comités d’études qui ont été nommés, le premier par la pape Jean XXIII (élargi après sa mort, par son successeur) et le deuxième par le pape Paul VI. Ils sont arrivés à la même conclusion : «Pour les couples mariés, les relations fertiles et les relations infertiles forment un tout».
Comme vous le savez sans doute, le cardinal Karol Wojtyla a fait de fortes pressions auprès de Paul VI pour que la position traditionnelle de l’Église ne soit pas modifiée.
La vie de l’Église, comme toute vie sur terre, est soumise à des conjonctures, parfois heureuses, parfois malheureuses, qui reposent sur la liberté que le Créateur a voulu accorder à ses créatures.
Vous me pardonnerez de croire que nous assistons, actuellement, à l’un des plus grands suicides institutionnels de l’histoire moderne: celui de l’Église catholique en terre de liberté ! Comme je suis père, grand-père et arrière grand-père avec cinq enfants, dix petits-enfants et deux arrière-petits, j’ai un profond intérêt dans l’avenir de la foi chrétienne.
Et je me permettrai de dire que ceux qui porteront la responsabilité, aux yeux de l’Histoire, ne sont pas les millions de croyants qui auront abandonné l’Église, ce sont ceux qui les ont fait fuir des églises, faute d’avoir compris que la pastorale et la culture religieuse doivent évoluer en symbiose avec l’évolution de l’humanité. Jean XXIII avait tout compris. Malheureusement, il est mort avant d’avoir atteint l’objectif qu’il s’était fixé.
Un mot sur votre combat pour conserver l’enseignement confessionnel de la religion dans le réseau des écoles publiques. En 1964, il y a donc, 43 ans, le cardinal Paul-Émile Léger était venu rencontrer les sept commissaires de la Commission des Écoles Catholiques de Montréal. J’étais l’un des sept. De quoi voulait-il nous parler? Du fait qu’il était inquiet, très inquiet parce qu’une bonne partie des institutrices et instituteurs qui enseignaient le catéchisme n’avaient pas la foi! Depuis ce temps, les discussions se sont amorcées entre les évêques et le gouvernement. Vous seriez parfaitement justifié de vous joindre à tous vos collègues de l’épiscopat pour accepter la responsabilité de l’enseignement du catéchisme dans votre diocèse.
Vous serez sans doute heureux d’apprendre que ma prière préférée est celle d’un… cardinal. Qui n’est pas très connu. Il s’appelait Nicolas de Cues. Il vivait au quatorzième siècle ! Voici ce que je répète souvent en guise de prière du soir : « Par Ton verbe, Tu parles à tous les êtres et ils sont. Tu appelles à l’être ceux qui ne sont pas et ils deviennent. Tu les appelles pour qu’ils T’écoutent et, quand ils T’écoutent, ils sont. Tu appelles le néant à être quelque chose et le néant T’écoute, car il devient. Alors je T‘écoute, Seigneur, pour que Tu me fasses être. J’attends Ton Verbe. Ce que je comprends ne peut me satisfaire, ce que je ne comprends pas ne peut me satisfaire, mais ce que je comprends sans comprendre me propulse dans un immense vouloir être. »
II y a une phrase prononcée, en 1966, par un cardinal, que vous connaissez bien, et qui a changé de nom depuis. Cette phrase fait aussi partie de mes «méditations» quotidiennes. Elle se lit comme suit:
«La conscience est le tribunal suprême et ultime de la personne humaine, même au-dessus de l’Église officielle; et c’est à elle que nous devons obéir». (Joseph Ratzinger)
Veuillez me croire, Monsieur le cardinal, cordialement vôtre,
Monsieur le cardinal Marc Ouellet,
Archevêque de Québec et primat de l’Église au Canada
Monsieur le Cardinal,
Lors de votre récente comparution devant la commission Bouchard-Taylor, vous avez déclaré: « Le renouveau du catholicisme et des valeurs des Québécois, qui ont fait notre identité, serait une grande partie de la solution aux tensions qui existent. Il y a des groupes qui sont plus identifiés que nous au plan religieux et nous nous demandons qui nous sommes » (Cf. Malorie Beauchemin. Le Devoir, 31 octobre 2007).
Permettez-moi de ne pas vous suivre dans votre argumentaire. Le problème le plus grave de l’Église catholique au Québec n’est pas relié aux relations inter-religieuses, il est beaucoup plus grave. Le magistère de l’Église catholique a perdu contact avec ce que nous appelons le Peuple de Dieu. Le Vatican contrôle tout, décide tout. Les évêques ne peuvent plus dire ce qu’ils pensent. Ils ne peuvent même pas réagir ouvertement au «message» très clair, qu’ils ont reçu de la Conférence religieuse du Canada. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème mais je suis étonné que vous ayez profité de cette tribune pour cacher la vraie cause du drame religieux chez les catholiques au Québec. Il s’agit, à mon avis, d’un véritable suicide institutionnel. Et la responsabilité doit être mise sur les épaules… du magistère de l’Église. Ce qui inclut les évêques et le pape. Mais parlons d’abord de vous-même, puisque vous êtes le « primat » de l’Église canadienne.
Vous avez déclaré, dans une entrevue au journal Le Soleil, le 26 janvier 2003: «Les femmes n’ont pas de droit inhérent à devenir prêtre, parce que ce droit n’existe pas plus pour les hommes que pour elles. Je n’ai pas le droit d’être évêque, je suis appelé par Dieu, à travers l’Église».
Beaucoup de femmes, mariées ou non, qui ont consacré leur vie à l’enseignement de la théologie ou au service de l’Église d’une autre façon, seraient satisfaites d’un tel traitement. Beaucoup d’hommes mariés aussi. Qui peut dire ce que Dieu en pense? Il est difficile d’imaginer que l’objection viendrait de Lui. Ceux qui pensent le contraire ont le fardeau de la preuve.
Ne croyez-vous pas qu’il eût été plus approprié de dire que vous avez choisi de servir l’Église catholique et que le Magistère de notre Église vous a appelé à devenir prêtre, puis évêque et …cardinal?
J’ai suivi avec un grand intérêt votre arrivée, très médiatisée, à Québec. Vous avez constaté que de nombreux fidèles s’étaient éloignés de l’Église. Lorsque vous avez entrepris de visiter les paroisses de votre immense diocèse, vous avez certainement entendu souvent l’une des principales raisons de cet éloignement : la discrimination envers les femmes et le refus d’adapter le code moral imposé historiquement par l’Église en matière de sexualité.
Vous trouverez la preuve de cette hypothèse dans les nombreux sondages démontrant que la majorité des Québécois et des Québécoises croient encore en Dieu et au Christ. C’est le discours de l’Église, inadapté à la société moderne, qui les a chassés des églises. Ils y reviendraient si ce discours devenait ce qu’il eût été si le pontificat de Jean XXIII avait duré cinq ans de plus! Deux grands sujets sont en cause : la discrimination envers les femmes, la totalité des femmes, et envers les hommes… mariés.
Il faut d’abord choisir entre deux approches: maintenir la règle imposée à «nos aïeu », qui a multiplié les familles de 10, 12 ou 15 enfants :
«Tout acte matrimonial doit être ouvert à la transmission de la vie. » À laquelle les confesseurs ajoutaient un complément: «La femme qui refuse une relation avec son mari se rend coupable de l’adultère qu’il pourrait commettre! »
Ou recevoir les recommandations des deux comités d’études qui ont été nommés, le premier par la pape Jean XXIII (élargi après sa mort, par son successeur) et le deuxième par le pape Paul VI. Ils sont arrivés à la même conclusion : «Pour les couples mariés, les relations fertiles et les relations infertiles forment un tout».
Comme vous le savez sans doute, le cardinal Karol Wojtyla a fait de fortes pressions auprès de Paul VI pour que la position traditionnelle de l’Église ne soit pas modifiée.
La vie de l’Église, comme toute vie sur terre, est soumise à des conjonctures, parfois heureuses, parfois malheureuses, qui reposent sur la liberté que le Créateur a voulu accorder à ses créatures.
Vous me pardonnerez de croire que nous assistons, actuellement, à l’un des plus grands suicides institutionnels de l’histoire moderne: celui de l’Église catholique en terre de liberté ! Comme je suis père, grand-père et arrière grand-père avec cinq enfants, dix petits-enfants et deux arrière-petits, j’ai un profond intérêt dans l’avenir de la foi chrétienne.
Et je me permettrai de dire que ceux qui porteront la responsabilité, aux yeux de l’Histoire, ne sont pas les millions de croyants qui auront abandonné l’Église, ce sont ceux qui les ont fait fuir des églises, faute d’avoir compris que la pastorale et la culture religieuse doivent évoluer en symbiose avec l’évolution de l’humanité. Jean XXIII avait tout compris. Malheureusement, il est mort avant d’avoir atteint l’objectif qu’il s’était fixé.
Un mot sur votre combat pour conserver l’enseignement confessionnel de la religion dans le réseau des écoles publiques. En 1964, il y a donc, 43 ans, le cardinal Paul-Émile Léger était venu rencontrer les sept commissaires de la Commission des Écoles Catholiques de Montréal. J’étais l’un des sept. De quoi voulait-il nous parler? Du fait qu’il était inquiet, très inquiet parce qu’une bonne partie des institutrices et instituteurs qui enseignaient le catéchisme n’avaient pas la foi! Depuis ce temps, les discussions se sont amorcées entre les évêques et le gouvernement. Vous seriez parfaitement justifié de vous joindre à tous vos collègues de l’épiscopat pour accepter la responsabilité de l’enseignement du catéchisme dans votre diocèse.
Vous serez sans doute heureux d’apprendre que ma prière préférée est celle d’un… cardinal. Qui n’est pas très connu. Il s’appelait Nicolas de Cues. Il vivait au quatorzième siècle ! Voici ce que je répète souvent en guise de prière du soir : « Par Ton verbe, Tu parles à tous les êtres et ils sont. Tu appelles à l’être ceux qui ne sont pas et ils deviennent. Tu les appelles pour qu’ils T’écoutent et, quand ils T’écoutent, ils sont. Tu appelles le néant à être quelque chose et le néant T’écoute, car il devient. Alors je T‘écoute, Seigneur, pour que Tu me fasses être. J’attends Ton Verbe. Ce que je comprends ne peut me satisfaire, ce que je ne comprends pas ne peut me satisfaire, mais ce que je comprends sans comprendre me propulse dans un immense vouloir être. »
II y a une phrase prononcée, en 1966, par un cardinal, que vous connaissez bien, et qui a changé de nom depuis. Cette phrase fait aussi partie de mes «méditations» quotidiennes. Elle se lit comme suit:
«La conscience est le tribunal suprême et ultime de la personne humaine, même au-dessus de l’Église officielle; et c’est à elle que nous devons obéir». (Joseph Ratzinger)
Veuillez me croire, Monsieur le cardinal, cordialement vôtre,
Jean-Paul Lefebvre
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